Les Femmes autochtones et nos revendications : de l’individu au collectif
En tant que personnes, nous jouissons de droits individuels. Mais l’autodétermination et la préservation de notre culture et de nos terres sont des droits que nous exerçons collectivement.
Après son divorce, Sandra Lovelace Nicholas est retournée avec son fils dans la réserve de Tobique, au Canada, d’où elle était originaire. Là, elle a appris qu’en raison de son mariage avec une personne non autochtone, elle et son fils avaient perdu leur appartenance au peuple malécite et, avec elle, leur accès au logement, à la santé et à l’éducation. Cela a conduit Lovelace Nicholas à entreprendre une bataille juridique qui, après de nombreuses années, a marqué un précédent dans la lutte pour les droits des Femmes autochtones.
Notre identité est collective
L’identité autochtone, qui provient des communautés ou nations autochtones qui précèdent les États coloniaux, est pourtant actuellement niée par de nombreux États. Bien que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones, approuvée en 2007, reconnaisse le droit à l’autodétermination, divers pays membres des Nations Unies n’ont pas actualisé leur constitution de manière à se conformer à la Déclaration. Cela se traduit par des situations d’exclusion et de discrimination; surtout contre les femmes, comme dans le cas de Sandra Lovelace Nicholas.
« Le droit à l’autodétermination est synonyme de décolonisation pour les Peuples autochtones. » Elsa Stamatopoulou, première directrice du Secrétariat de l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones, explique que pour les Peuples et personnes autochtones, l’autodétermination est un droit fondamental qui représente un point de départ pour une réparation historique.
L’autodétermination est l’un des trois piliers qui soutiennent la Déclaration des Nations Unies. Avec la reconnaissance de ce droit, nous réaffirmons notre identité en tant que Premières nations. Avoir une identité juridique en tant que Peuples autochtones nous permet de préserver nos systèmes de gouvernement, nos modes de vie ainsi que le principe du bien-vivre. Pour y arriver, nous faisons appel au cadre des droits de la personne. Les deux autres piliers ont à voir avec les droits fonciers et culturels.
Malheureusement, la non-reconnaissance du système de gouvernance autochtone est une forme de domination des États qui rend invisibles les Peuples autochtones. On le voit dans les « stratégies nationales de développement » basées sur l’extraction des ressources naturelles et l’exportation de celles-ci sous forme de matières premières. Ces stratégies ne tiennent pas compte du principe de la consultation préalable, libre et éclairée de nos communautés.
Le « développement » sert de prétexte pour mettre en œuvre des projets qui menacent notre santé et celle de l’environnement. Par exemple, l’extraction de pétrole dans le bassin inférieur de l’Amazone a provoqué des catastrophes naturelles incommensurables pour les communautés Pastaza, Corrientes, Tigre, Marañón et Nazarhed. Un seul baril de pétrole peut contaminer près de 80 millions de litres d’eau potable. En d’autres termes, c’est l’équivalent de 32 piscines olympiques d’eau polluée qui a coulé dans la rivière Utcubamba en raison d’un seul baril de pétrole. Cela empoisonne l’eau pour toutes les formes de vie qui habitent la rivière et ses berges.
Selon la cosmovision autochtone, le territoire est un organisme vivant qui est profondément lié à l’harmonie entre la communauté, la famille et les personnes. C’est pour cette raison que les personnes autochtones ne parlent pas de « développement », mais de Bien-vivre. C’est une manière de revendiquer nos savoirs ancestraux et nos principes éthiques afin de protéger nos vies.
Selon Andrea Carmen (Yaqui), directrice générale internationale du Conseil des traités autochtones, les personnes autochtones sont porteuses de droits individuels pour le seul fait d’être des personnes humaines; mais les droits à l’autodétermination, à la terre et à la préservation de nos langues et de notre culture, pour leur part, sont des droits qui s’exercent collectivement. C’est pourquoi il est important pour les personnes autochtones de parler à la fois de droits individuels et collectifs, car notre identité est collective.
Les droits individuels doivent également être respectés
La reconnaissance de nos droits collectifs en tant que Femmes autochtones doit s’accompagner du respect de nos droits individuels. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones précise que ces peuples doivent respecter les droits humains des personnes autochtones qui les composent, c’est-à-dire que l’identité et les droits autochtones ne peuvent et ne doivent pas être imposés à une personne. De plus, les devoirs politiques qui reposent sur les personnes autochtones en vertu de leur système de gouvernance doivent être conformes aux normes internationales des droits de la personne.
En ce sens, les Femmes autochtones se sont prononcées contre la discrimination spécifique à laquelle nous sommes exposées à l’intérieur comme à l’extérieur de nos territoires. En fait, la Déclaration politique et plan d’action des Femmes autochtones dans le monde, adoptée lors de la Conférence internationale des Femmes autochtones, fait référence à l’accès limité que nous avons, nous et nos filles, à l’éducation et à la santé. Elle souligne également que nous sommes celles qui enregistrent les taux les plus élevés de pauvreté et de mortalité infantile et maternelle. Dans ce document, nous reconnaissons également que nous souffrons de différentes formes de violences, y compris la violence domestique et les abus sexuels, dans des contextes de traite, de conflits armés, de violence environnementale et politique, et des violences exercées par les industries extractives.
Un cas qui illustre bien la triple discrimination est ce qui s’est passé dans les années 60 et 70 au Groenland. À cette époque, le gouvernement du Danemark a décidé d’implanter des dispositifs contraceptifs chez environ 4 500 Filles et Femmes autochtones, sans leur consentement, afin d’empêcher la croissance de la population autochtone inuite et de promouvoir la « modernisation » de l’île. Cette pratique est considérée comme une violation des droits fondamentaux des filles et des femmes qui, à son tour, a répercuté sur les Peuples autochtones inuits dans leur ensemble, puisqu’on estime que pendant cette période, les grossesses ont été réduites de moitié, de 1 674 en 1964 à 638 dix ans plus tard.
En tant que Femmes autochtones, nous sommes conscientes qu’au fil du temps, des tentatives ont été faites pour dominer nos peuples à travers nos corps. Pour cette raison, il est important pour nous et pour nos peuples de parvenir à la justice reproductive et que soit ainsi reconnu notre droit à décider si être mères ou non, et à élever nos filles et nos fils dans des environnements sûrs et sains.
La tête haute, les Femmes autochtones suivent le chemin tracé par Sandra Lovelace Nicholas il y a quarante ans déjà. Ensemble, nous combattons les violences faites à la terre, à la culture ancestrale et à nos corps; nous défendons nos droits, tant individuels que collectifs.